Plume de Guerre
Donzenac, Samedi 1er aout 1914
J’ai commencé tôt ce matin. Les travaux des champs sont pénibles par cette chaleur d’été. Avec tout ce qu’il y a à faire, faut se lever matin, se mettre à l’ouvrage avant que le soleil ne soit trop haut. Mes deux fils de huit et dix ans sont avec moi. Marie, ma fille, qui a 6 ans, est restée avec sa mère à la ferme. Elles ne chôment pas non plus. Entre les lessives, le nettoyage, nourrir les poules, traire les vaches, il y a de quoi occuper une journée. J’ai emmené le cheval avec moi. Ce matin, comme chaque fois, il a semblé protester quelques temps quand j’ai décroché le joug du poteau avant de lui passer autour du cou. Il a compris que sa journée serait laborieuse. Je crois qu’il préfère rester à l’étable ou juste devant, dans son enclos, entre son fourrage et l’abreuvoir. Il est pas tout jeune et, quand je peux, j’essaie de me passer de ses services, mais aujourd’hui, j’ai besoin de lui. Il y a quelques jours, un orage a eu raison d’un vieil arbre au bout de mon champ sur la route d’Ussac. Il me faut l’enlever de là, et ça me fera du bois de chauffe pour cet hiver. Je pourrai jamais trainer le tronc seul avec les garçons. Dans ma musette j’ai le repas pour nous trois, de l’eau pour les enfants, et ma gourde de vin qui bat le pas contre ma cuisse. Les garçons savent qu’ils auront droit à une gorgée de vin s’ils m’aident bien. À la mi-journée, la chaleur nous a forcé à nous réfugier sous la lisière de la forêt au bord du champ. On avait déjà bien avancé, il ne restait que quelques grosses branches à découper avant de pouvoir envisager de trainer le tronc bien droit vers la ferme. En le voyant au sol, bien droit, je pense qu’il fera l’affaire pour remplacer le poteau sous le coin du toit derrière l’étable, celui qui donne des signes de fatigue. J’aime ces moments paisibles au milieu d’une journée de labeur. La campagne est belle autour de mon village. C’est vallonné par contre. Faut aimer grimper dans le coin, c’est pas souvent plat. Pendant qu’on déjeune à l’ombre avec les garçons, je regarde les châtaigniers. Dans quelques semaines, faudra revenir et commencer à ramasser les châtaignes pour cet hiver. Ça se conserve bien et ça nourrit son homme. Quand on aura épuisé les pommes de terre qui finissent toujours par pourrir, on aura les châtaignes: elles, elles se gâtent jamais. C’est pas toujours une vie facile à la ferme, mais je saurais pas quoi faire d’autre. Il y a bien deux gars qui sont partis à Brive l’année dernière. Quand ils reviennent au village pour les fêtes de famille, ils font les cadors, mais à voir leur yeux quand ils doivent repartir pour l’usine après la fête, tu comprends qu’ils seraient bien restés. Le déjeuner vite avalé, on se remet au travail avec les garçons. Pierre, l’aîné, manie bien la hachette. François ramène le cheval et me lance la corde qu’il a accrochée au joug. Je la noue autour du tronc et nous sommes prêts pour le retour à la maison. François guide le cheval devant sur le chemin pour rejoindre la route. Avec Pierre, je reste derrière pour corriger la trajectoire du tronc: faudrait pas le laisser aller au fossé, çà nous retarderait. On a rejoint la route après une belle côte. Maintenant ça descend presque sur tout le chemin jusqu’à la ferme. Le soleil descend mais il fait encore bon. Au loin, sur le chemin, j’aperçois le facteur, Jules, sur sa bicyclette. Il a l’air pressé le bougre. Il vient vers nous. Il est encore loin quand on entend la cloche de l’église se mettre à sonner. Il doit être six heures, mais la cloche ne s’arrête pas au sixième coup. Ça n’est pas bon ça. C’est le tocsin… Il a du arriver quelque chose de grave. Pas de fumée à l’horizon, c’est pas un incendie dans une ferme. Le facteur me reconnait et viens s’arrêter à notre hauteur:
- Alphonse, c’est la guerre !! Mobilisation générale, lâche-t-il essoufflé.
- La guerre !?!..
- Oui, avec l’Allemagne de Guillaume. Les hommes sont appelés, les premiers partent demain pour Brive pour rejoindre le régiment.
- He.. je vais faire comment avec ma récolte ?
- Ta femme et tes gamins s’en chargeront !! Je fais le tour des hameaux pour prévenir les gars. L’affiche a été posée par le Maire toute à l’heure. Tout le monde est devant sur la place de la Mairie. Va voir ! Moi je file, suis pas encore rentré !
Jules enfourche sa bicyclette et nous abandonne pour porter sa nouvelle plus loin. Je reprends le chemin de la ferme en demandant à Pierre de forcer un peu l’allure. J’ai le chemin jusqu’à la ferme pour penser. Faut aller voir cette affiche et les gars du village. Les enfants ont compris que c’était une mauvaise nouvelle et ils marchent en silence. On va faire quoi ? Y aller ? Abandonner nos fermes, nos femmes et nos enfants ? Qui va s’occuper des récoltes ? On sera rentrés pour les labours ?
- Dis papa, m’interroge François, qui c’est Guillaume ?
- C’est le chef des allemands, leur empereur…
- Ils ont un empereur ? Comme Napoléon ?
- Oui, comme Napoléon.
- Et pourquoi on va lui faire la guerre ?
- Çà j’sais pas mon fils… C’est les huiles à la capitale qui décident, à Paris. On rentre à la maison, vous vous occupez du cheval, moi je descends au village et je vous raconterai en rentrant.
- On peut pas venir avec toi Père ? Ils m’appelaient pas souvent Père ces deux là…
- Non, restez avec votre mère, bouchonnez le cheval et attendez moi, je rentrerai pour le souper.
Lucie et Marie nous guettaient depuis la porte ouverte de la cuisine. D’habitude, Marie, six ans, venait plutôt vers moi en courant quand elle m’apercevait rentrant d’une journée aux champs. Aujourd’hui, elle est collée dans les jupes de ma Lucie. Les deux femmes de la maison nous regardent avancer vers elles sans bouger. Elles ont du être prévenues par le facteur ou une voisine. Lucie a le visage fermé et la joue humide. J’emmène le cheval à l’étable après avoir décroché le tronc. Je l’abandonne dans la cour. Les garçons ont déjà commencé à bouchonner le cheval. Ils sont pressés d’en avoir fini. Je crois qu’ils veulent rejoindre tout le monde dans le village.
- Va aider tes frères Marie, dis Lucie, je dois parler à ton père.
Lucie me regarde tendrement, la larme à l’œil, un voile de peur dans le regard. Je l’entraine dans la cuisine et la serre contre moi.
- Ça va bien se passer ma Lucie. Je vais aller voir au village et je te raconte en revenant. J’ai croisé le facteur sur la route. C’est la guerre. On va corriger le Guillaume et on revient pour les labours.
- Et si t’es pas rentré pour la récolte et les labours… je ferai comment avec les enfants, moi ?
- On sera rentré, ils nous auront pas cette fois-ci. On reprend l’Alsace et la Lorraine et on rentre.
- Et si tu es tué ?
- Lucie….
Ma réponse reste bloquée dans ma gorge. De toute façon, je n’en ai pas. Je fuis son regard qui m’interroge, et la serre contre moi. Elle sanglote. Je suis inquiet. Je réalise que je devrais probablement partir.
- Je file à la Mairie pour voir tout ça. Je rentre pour le diner.
Lucie n’ouvre pas ses bras. Elle reste blottie contre moi, silencieuse, le corps secoué de sanglots. Je dénoue ses bras doucement, embrasse son front, et prends le chemin de la Mairie.
Quand j'arrive dans le village, il y règne une atmosphère très inhabituelle. Les gamins courent comme toujours, mais les adultes marchent d’un pas lourd, grave. Ils discutent à voix basse par petits groupes. Les commentaires doivent aller bon train, les questions aussi. La foule est compacte sur la place du village. Il y a plus de monde que lors du dernier jour de marché. Tout le monde est agglutiné autour de la porte de la Mairie. J'arrive derrière la foule. Elle bruisse de commentaires à voix basse. Par instant, un « À mort les Boches !! » ou « À mort Guillaume !! » fusent. Je joue lentement des coudes et des épaules pour me rapprocher de l’affiche placardée sur la porte de la Mairie. Je ne parvient pas plus loin que le troisième rang, la foule est trop dense. Le Maire apparait à la fenêtre du premier étage.
Je n’ai pas voté pour lui, mais c’est un bon gars qui aime Donzenac et ses habitants. Il a l’air grave là haut à sa fenêtre. Il nous lance un « Je descends » et referme, réajuste le rideau et disparait. À cette annonce la foule s’est tue. La porte s’ouvre et Léon, notre Maire, sort la mine grave. Il est tête nue, lui qui a toujours son chapeau vissé sur le front. La mèche est en bataille. Ses cheveux blancs sont collés sur son front.
La main levée, il réclame le silence. La foule, disciplinée se tait. Les habitués du chahut des jours de fêtes semblent guéris. Même le Raoul, pourtant toujours le premier à déconner a enlevé sa casquette et écoute religieusement le Maire.
« Mes chers concitoyens, c’est une bien triste nouvelle. Nous avons déclaré la guerre à l’Allemagne. La gendarmerie m’a informé des consignes émanant du commandement militaire. La mobilisation générale est décrétée. Tout homme en âge de prendre les armes devra se présenter à partir de demain, Dimanche 2 Août, à Brive-la-gaillarde pour rejoindre son régiment. Dans chaque ville et village de France, les hommes se préparent pour partir au combat. Nous sommes confiants dans votre détermination à tous pour faire votre devoir pour la Patrie. Je suis trop vieux pour être au départ avec ceux qui nous défendrons, mais, d’ici, à Donzenac, je veillerai sur vous et ferai mon possible avec l’ensemble des concitoyens de notre village pour vous venir en aide et assurer le bon fonctionnement de vos fermes et commerces en votre absence. Elle sera brève, n’en doutons pas. La France est agressée traitreusement par l’Allemagne et est donc en droit de se défendre. Vous serez le bras armé de la France, et reviendrez très vite vainqueurs. Il ne pourrait en être autrement. Je sais qu’aucun enfant de Donzenac ne se dérobera à son devoir, mais le commandement militaire rappelle que le refus d’obtempérer à l’ordre de Mobilisation Générale est passible de très lourdes sanctions. Vive la République, Vive la France !! »
Devant une foule stupéfiée, au dessus de laquelle on eût entendu une mouche voler, le Maire entonne alors la Marseillaise. Nous le rejoignons tous en chœur, conscients de la gravité du moment et en même temps confiant dans notre force commune. C’est rassurant de se sentir tous ensemble dans un moment pareil. Toutes ces poitrines qui chantent à l’unisson notre hymne national, notre hymne de combat… Le chant de marche de l’armée du Rhin… Il n’a jamais si bien porté son nom. Nous allons reprendre l’Alsace et la Lorraine à Guillaume et ses sbires. Le Rhin, nous lui redonnerons une rive française. C’est du moins ce qui se dit autour de moi. Moi je n’y entends rien à tout çà. Moi, mon horizon, c’est les collines autour de Donzenac, c’est le chemin de mes champs, c’est ma ferme, ma famille, ma Lucie. On s’est peut être laissés entrainer par la Marseillaise, mais quand le chant s’arrête, le silence pèse de nouveau et les visages, enflammés l’instant d’avant, se ferment, se durcissent. Les soucis commencent. Pas la peur. Les soucis.
Qui va s’occuper de nos fermes ? L’ordre de mobilisation concerne tous les hommes valides âgés de vingt à quarante ans. Bref, ce sont les forces vives de Donzenac et des autres villages qui vont partir à la guerre en laissant leurs fermes, leurs ateliers, leurs commerces derrière eux. Qui va labourer mes champs ? Qui va récolter ? Qui va semer ? Lucie et les enfants participent à tous les travaux de la ferme, mais il faut un homme dans une ferme, il faut des hommes dans nos campagnes. Le Maire a bien dit qu’il s’occuperait d’organiser tout ça. Je veux lui faire confiance, mais, sur le chemin du retour vers les miens, je me demande avec quels bras il compte remplacer tous ceux qui partiront demain à Brive… ?
- Alphonse !! Attends !!
Je m’arrête et me retourne. Derrière moi Jean s’essouffle à vouloir me rattraper. Sa ferme est pas loin de la mienne. Il remonte, comme moi, chez lui pour porter la nouvelle.
- Tu y crois toi à cette guerre Alphonse ?
- Ben, mon Jean, y croire ou pas.. elle est là. Tu as entendu le Maire. Ce soir on se prépare, on met les affaires en ordre et demain on marche sur Brive pour rejoindre le régiment.
- Y en a qui disent que on va se rassembler, mais que la guerre est pas encore déclarée, que les allemands oseront pas…
- J’espère comme toi. Si ça pouvait être juste une ballade pour Brive, un exercice et qu’on rentre chez nous, ça me va. J’ai assez de boulot ici. Mais t’as vu la tête du Maire… Il a pas l’air de penser que ce sera si rapide.
- Moi j’ai pas envie de mourir pour l’Alsace et la Lorraine Alphonse. J’ai peur.
- Dis pas de sottises Jean. Les Boches nous ont pris l’Alsace et la Lorraine en 1870, on s’est toujours juré de les leur reprendre. Rappelle toi les bancs l’école et les poèmes qu’on récitait. Rappelle toi la carte de géographie qu’on a dessinée. Rappelle toi la chanson… Comment il s’appelait..? Pierre Gaillard … ?
Non ?!?
- Oui.. tu as raison. Tu t’en rappelles encore ?
- Penses-tu? Mon père m’a corrigé cent fois pour que je ne l’écorne pas une seule fois du début à la fin. Mes mains s’en souviennent, il avait la baguette facile. Pourtant, il faisait partie de ceux qui n’avaient pas réussi à la garder… Je crois que je pourrais la réciter encore aujourd’hui…
Enfant, regarde sur ces cartes
Ce point noir qu'il faut effacer
De tes petits doigts tu l'écartes
En rouge, il vaut mieux le tracer
Puissent en notre chère France
Les rameaux verts de l'espérance
Fleurir par toi, mon cher enfant
Grandis, grandis, la France attend !
Ce point, c'est toute une province
Que volèrent les Allemands
Pour calmer l'appétit d'un prince ...
Parfois leurs princes sont gourmands
Plus tard, quoi que le sort te fasse
Promets-moi bien d'aller là-bas
Chercher les enfants de l'Alsace.
Qui nous tendent leurs petits bras.
Toujours souffre de leur souffrance
D'être appelés des prussiens !
Eux, comme toi, vrais fils de France.
Bons Français, les Alsaciens.
- Pffff.. Alphonse, tu m’en bouches un coin !! Je me rappelais à peine le début…
- Comme j’te dis, mon père il me l’a rentré dans le crâne à coup de trique. Alors, si c’est le moment, ben on y va. Moi aussi j’ai peur Jean. Mais on va être qu’avec des gars de chez nous au régiment, des corréziens. J’ai confiance dans ces gens du pays. On est durs à la tâche, on s’en sortira, tous ensemble.
- Puisse le Ciel t’entendre Alphonse…
- Laisse le Ciel où il est Jean. Passe le bonjour chez toi, et à demain.
Je laisse Jean poursuivre la montée, sa ferme est un peu plus haut au-dessus de la mienne. Moi je coupe à travers le bois. Il fait encore bon en ce premier Aout 1914. Il fait bon marcher dans ma campagne corrézienne natale. Demain, je devrai prendre la route, partir vers le nord-est. Je ne serai pas tout seul, certes, mais les miens vont me manquer. Que vont ils devenir sans moi à la ferme. Les deux garçons sont dégourdis, mais ils n’ont pas encore ma force… Il y a tant de choses que je suis seul à pouvoir faire au quotidien. Après, ça fera une bouche de moins à nourrir à la maison, et j’ai de l’appétit. Les autres avaient l’air de penser qu’on sera rentré pour Noël, même s’il faut aller se battre un peu avant. Ça me laisserait encore le temps pour préparer les récoltes de l’été prochain. Faut pas que j’oublie de dire aux garçons de s’occuper des châtaignes dès que ce sera le moment. J’aperçois le toit de ma ferme à travers la lisière du bois, la cheminée fume. Il y a tant de choses à penser, à mettre en ordre, et je dois partir demain. J’ai confiance en Lucie. Elle sait tenir la maison, et les garçons respectent leur mère. Marie est plus fragile, mais ses frères l’adorent et s’en occuperont bien. De toute façon, je serai vite rentré…
Le repas a été silencieux, Lucie a compris, les garçons aussi. Seule Marie semble ne pas s’apercevoir du changement à venir. Elle joue avec son pain, à faire des petites figurines en tassant la mie entre ses doigts. En temps normal, Lucie ou moi, on serait intervenu pour lui rappeler qu’on ne joue pas avec la nourriture. Mais ce soir, ce n’est pas un soir normal. Le repas terminé, Lucie et les enfants rangent la cuisine. Moi, je dois préparer mes affaires. Avant le repas, j’ai montré à Lucie les comptes de la ferme, et la cache où je garde une réserve, modeste, mais une réserve tout de même en cas de coup dur. Je prends deux billets avec moi, des fois que… Ils ont dit « léger, tout sera fourni ». Je cherche quand même mon écharpe, l’automne est peut être froid dans le Nord-Est. Il me faut aussi mon couteau: un Laguiole des couteliers aveyronnais. J’y tiens. C’est un cadeau de la famille pour mes trente ans. Il ne m’a jamais quitté depuis. Il y en pas beaucoup dans le village. Je ne compte pas sur lui pour tuer du Boche, mais sa lame n’a pas son pareil sur un saucisson ou un morceau de pain. Pour le voyage, demain, je décroche un saucisson du séchoir. Je découpe un bon bout de pain et l’emballe dans un mouchoir. Je glisse tout ça dans la musette. Mon bagage est prêt. « Léger, tout sera fourni ». Je crois bien que je ne peux pas faire plus léger.
Je vais quitter Donzenac. Je vais voyager. Je vais aller dans le Nord Est de la France. Depuis que je suis né, il y a un peu plus de trente ans, je suis sorti de Donzenac deux fois, pour aller à Brive, à la ville. Les deux fois, c’était pour aller à la foire. On était parti avec les gars du village. Jeannot était du voyage les deux fois avec sa jument et sa charrette. Il fallait bien deux heures pour rejoindre Brive. Demain, on partira à pied avec les gars du village. Avec les pauses, on en aura pour presque trois heures pour couvrir les dix kilomètres qui nous attendent. D’autres viennent de bien plus loin. Enfant, j’ai parfois rêvé de découvrir le monde. A l’école, on lisait ces histoires de grands voyageurs, les aventures des découvreurs. Un paysan ne voyage pas. Il cultive sa terre à côté de son village, chaque jour, pour nourrir sa famille, pour nourrir ceux qui ne cultivent pas. Moi, je vais chaque jour de la ferme à mon champs, de mon champs à la ferme. Un paysan ne voyage pas, et j’allais quitter Donzenac.
La journée a été dure. Mon corps est fatigué. Ma tête est inquiète et en même temps impatiente de faire de mon mieux, de remplir mon devoir. Ne nous faisait-on pas dire, à l’école, « Demain, je serai soldat » pour nous expliquer le futur en cours de français ? Nous y sommes, demain je serai soldat. Ce soir, cette nuit, je suis encore paysan, sans grade, sans ordre à recevoir, sans péril devant lui. Ce soir, cette nuit, je suis encore en paix, la guerre attendra demain. Ce soir, cette nuit, je suis encore avec les miens, avec ma Lucie. Il est tant de la rejoindre, qui sait quand je la reverrai…
P.B. 13 Novembre 2022
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